PABLO

Il s'en fout. De tout. De l'hôpital jusqu'au monde entier. Il est de ces âmes qui errent, sans grand but dans la vie. Juste mû par un instinct de survie bidon, altéré par la réalité de tous les jours, par le train train quotidien. Il aurait pu être un joyau, Pablo. Mais il s'est perdu en Amérique et voilà. Fin. Rien à signaler, dans sa vie actuelle. Y'a la serpillière qu'est passée sans conviction, et lui qui s'en fout de ce que les gens peuvent avoir à dire. Parce qu'après tout, qui fait attention à l'homme de ménage ? Il est invisible, aux yeux des gens. Juste une ombre, dans un coin, que personne remarque. C'est un hôpital et dans un tel lieu, y'a de yeux que pour les diplômés. Et lui l'est pas. Le sera jamais. A peiné déjà à obtenir sa nationalité américaine juste parce que ça aurait été pire au pays pour lui. Qu'y retourner, ça serait un aveu qui lui coûterait trop. Surtout sans sa soeur. Alors au fond, il en a rien à foutre des existences des autres. Ou s'en persuade, pour regarder personne, pour pas sentir parfois des émois dans ce foutu coeur qui qu'est rien de plus qu'un putain d'organe qui fait tellement mal. Qui regarde même pas où il faut. Il déteste le monde, Pablo. Mais surtout lui.

Y'avait l'Argentine. C'était beau, bordel. Mais y'avait aussi la pauvreté et les rêves d'un futur plus prometteur. Y'avait aussi sa soeur, qui lui parlait sans cesse de réussir leurs vies en Amérique. Qu'ils pourraient envoyer de la thunes aux parents et puis, revenir dans dix ou vingt ans pour vivre de nouveau avec eux. Pour se marier et faire des enfants. Dix à vingt ans, à avoir des rêves. Ils en avaient quinze, elle voulait échapper à une vie de misère et lui... Lui, il était juste ok. Alors ils sont partis à deux et rien ne s'est passé comme prévu. Absolument rien, même. Passer la frontière a été un enfer et il a fallu user des poings pour protéger sa soeur. Alors, ils étaient déjà abîmés en arrivant dans ce pays à la con. Et ont enchaîné les galères, de bout en bout. Jusqu'à atterrir dans ce coin-là. Des petits boulots, ils ont dû en faire à la pelle. Puis y'a eu ce jour où elle est tombée malade. Elle a rien dit, parce que trop vaillante, trop à pas vouloir déranger. Et elle a pas survécu. Et avec elle, son coeur elle a emporté. Devenu aigri et incapable de bouger de cette ville, parce que c'est celle qu'a connu les derniers instants de sa soeur. Et bordel, que ça fait mal d'y songer. Du coup, il veut plus y penser, s'est plongé dans un profond mutisme les trois quarts du temps. Parce que façon, qui irait demander son avis à un agent d'entretien ?