KEVIN

Kevin est cool, mais un peu dans la dèche actuellement. Son éducation sous pression l'a naturellement poussé à prendre à rebrousse-poil la success story de son père : une vie de bohème 2.0, où il a tout plaqué pour faire du rap après son shift dans l'un des K-mart de Portland (le boulot stable qu'il s'enquille depuis un an, pour lequel il a été engagé après un succinct « Tu parles coréen ? » « Oui. » « O.K, on te prend »). Avoir une petite fanbase sur Soundcloud ne l'aide malheureusement pas à payer les factures, et s'il noie ses soucis dans un épais nuage de weed, coupé à l'occasion d'autres drogues récréatives, dans le vague espoir que tout s'arrangera par miracle, la réalité frappe immanquablement et le pousse à aller toquer à la porte de son ex, de sa sœur, de sa mère, ou pire, de Leonard. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il est revenu pour le week-end – dire bonjour à sa mère adorée, et demander nonchalamment des nouvelles de son père injoignable. Il ne s'attendait pas à trouver son bureau fermé, ni à ce que son secrétaire lui indique la direction du Lockhart Memorial Hospital – son père, malade ? Allons bon, pour financer sa mixtape et sa MDMA, Kevin peut bien aller voir ce que son connard de père fout à l'hôpital.

Kevin aimerait vous dire qu'il vient de nulle part. Qu'il n'a eu ni un con de père, ni passé son enfance dans un patelin de l'Oregon, et qu'il s'est retrouvé sur Terre à l'aube de ses vingt ans, en ouvrant les yeux dans un petit studio de Portland (pas le sien, mais quand même). Kevin peut toujours faire semblant, maintenant qu'il est loin ; balayer sous le tapis les exigences de son père avocat dès l'enfance, le divorce de ses parents quand il avait dix ans, les disputes lors des week-ends sur deux passés chez le paternel, les retours moroses chez sa mère, la rupture définitive du lien avec Leonard quand Kevin a dit merde aux ambitions familiales (lui, faire du droit ? Lui, devenir juriste ?) en quittant de Silent Hills quelques jours avant de passer ses SATs.

Mais voilà, c'est que les blessures prennent la poussière et s'infectent, sous le tapis. Après avoir dormi sur de nombreux canapés et usé la patience d'un pote du lycée jusqu'à la moelle en six mois de squattage intensif, Kevin a fini par se dégoter un studio (ou plutôt, une meuf avec un studio) pour construire son indépendance dans la jungle de Portland. Il s'est tenu loin de Silent Hills aussi longtemps que possible (soit jusqu'au nouvel an asiatique, que sa mère n'a pas laissé passer), prétextant les concerts, les enregistrements, le boulot et « la vie, quoi » ; assez d'excuses pour ne se pointer qu'aux fêtes et rester loin de ces miasmes de rancoeur un peu tristoune.